C’est ce que nous apprend la première grande étude épidémiologique française menée – entre autre – par le Pr Fabrice Jollant, Professeur des Universités – Praticien hospitalier à la Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale (CMME) du GHU Paris psychiatrie & neurosciences et à l’Université Paris-Descartes. Cette étude publiée le 18 février dans la revue internationale « Epidemiology and Psychiatric Sciences »* porte sur le risque de récurrence de tentative de suicide et de mortalité dans l’année suivant une hospitalisation en médecine et chirurgie pour tentative de suicide.
Bien que le nombre d’actes suicidaires en France soit en baisse**, il reste néanmoins au-dessus de la moyenne européenne***. 10 000 personnes en décèdent chaque année et 200 000 personnes sont hospitalisées suite à une tentative de suicide, des chiffres qui sous-estiment l’ampleur réelle du phénomène.
A l’initiative du Ministère des Solidarités et de la Santé, deux bases de données portant sur 45 millions de français ont été mises en relation : l’une comptabilise les hospitalisations suite à un acte auto-infligé (Programme de Médicalisation des Systèmes d’Informations – PMSI) et l’autre la mortalité et les causes de décès (CépiDc-INSERM).
Grâce à ces informations, les co-auteurs de l’étude ont pu analyser le devenir à un an de 136 451 personnes hospitalisées en 2008-2009.
Les résultats révèlent que 12,9% des personnes récidivent dans l’année qui suit le geste initial. 75% d’entre eux referont cette tentative dans les 6 mois qui suivent le geste initial.
2,6% d’entre eux décèderont pour 1/3 parce que le suicide aura été fatal dans les 12 mois. L’étude montre que le risque de récidive et de décès est majeur durant les 6 premiers mois. Le taux de mortalité des personnes ayant déjà fait une tentative de suicide est en effet supérieur de 7,5 par rapport à la population du même âge. Cette surmortalité peut être 20 fois supérieure chez les jeunes d’une vingtaine d’années. « En terme d’organisation des soins, les 6 premiers mois sont critiques pour le patient, avec une prise en charge qui doit être globale, c’est-à-dire à la fois pour sa santé mentale et physique », nous explique le Dr Fabrice Jollant. Des facteurs de risque de suicide ont été identifiés (âge, sexe masculin, geste suicidaire initial violent, hospitalisation initiale en soins intensifs, récurrence dans l’année) mais leur valeur prédictive positive individuelle est faible.
Qui sont-ils ?
L’échantillon [des personnes hospitalisées suite à un acte auto-infligé] comprend une majorité de femmes (62,8%) d’âge moyen 38 ans. Il existe chez les femmes deux pics : l’un autour de 16 ans et l’autre autour de 44 ans. Chez les hommes un seul pic autour de 37 ans. 82% des actes auto-infligés résultent d’une prise de médicaments.
Suite à leur hospitalisation, 71,3% rentrent à domicile (la majorité dans les 24h) et 23,7% poursuivent leur prise en charge hôpital psychiatrique. L
Des facteurs prédictifs à la récidive ?
Certains facteurs prédictifs de récidive sont confirmés et identifiés comme statistiquement significatifs : un âge avancé, les hommes sont plus touchés, les personnes ayant utilisé un moyen violent la première fois (pendaison, arme à feu, par exemple). Cependant, les analyses indiquent aussi qu’il est très difficile au niveau individuel de prédire de manière fiable quels suicidants réitéreront leur geste.
Il est donc important d’organiser un suivi à 6 mois de toutes les personnes.
VigilanS, un dispositif préventif adapté
Les résultats de cette étude permettent d’apporter un éclairage nécessaire pour guider le choix de dispositifs pertinents et cohérents de prévention des récidives et de la mortalité. Ils confortent notamment les recommandations de suivre tout patient suicidant sans discrimination.
Un bilan complet est nécessaire pour chacun d’entre eux: psychiatrique, psychologique, social (famille, environnement, …) et somatique (santé physique).
Ils soutiennent indirectement la durée choisie (6 mois) du dispositif VigilanS en cours de déploiement en France. Ils soulignent enfin la fragilité tant psychique que physique des personnes suicidaires et la nécessaire prise en charge globale de ces patients.
En ce sens, le GHU Paris plaide en faveur du développement francilien du dispositif VigilanS, qui permet la veille des suicidants sur une période de 6 mois et la mise en relation des personnes concernées – durant et suite à la crise – avec les structures adaptées. Il vient en complément, sans s’y substituer, aux réseaux de soins existants.
Enfin, la formation des soignants (médecins, infirmières, etc) à la détection et à la prise en charge de la crise suicidaire, telle qu’actuellement organisée dans les régions, est cruciale.
*Recurrence and mortality 1 year after hospital admission for non-fatal self-harm: a nationwide population-based study – Vuagnat A, Jollant F, Abbar M, Hawton K, Quantin C.
**C’est ce que révèle le rapport de la troisième édition de l’Observatoire national du suicide, publié lundi 5 février 2019 par le Ministère de la Santé et des Solidarités et l’agence Santé Publique France, sur la base des chiffres fournis par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Inserm.*** Eurostat 2014, annexe Observatoire national du Suicide
**** Source: « Study Increase in Suicide in the United States », 1999–2014, National Center for Health Statistics